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Yvan Griboval : "nous avons entamé au tout début de ce mois de septembre 2018 les démarches pour acheter le VO65"

jeudi 20 septembre 2018Redaction SSS [Source RP]

Depuis son retour de l’Expédition OceanoScientific 2016-2017, le 2 juin de l’année dernière au ponton d’honneur du Yacht Club de Monaco au terme de son tour du monde en solo de 152 jours, dont 60 de campagne océanographique inédite et réussie autour de l’Antarctique, sous le 40° parallèle Sud et les trois grands caps continentaux : Bonne-Espérance, Leeuwin et le Cap Horn, Yvan Griboval était un marin explorateur à terre, concentré sur de nouveaux projets. En ce mois de septembre, le programme de plusieurs expéditions se précise, tout comme la future monture qui lui permettra de retourner "chez lui", au Pays des Albatros, là-bas où peu de marins naviguent : dans le Courant Circumpolaire Antarctique, entre 40° et 60° de latitude Sud. Toujours avec un objectif océanographique.


OceanoScientific (OSC) : Plus d’un an de quasi silence, si on excepte vos conférences et la présentation de vos films. Mais aucune navigation, aucune campagne océanographique. Qu’avez-vous fait pendant tout ce temps ?

Yvan Griboval (YG) : "J’ai mis pied à terre à Monaco le 2 juin 2017 avec des idées très précises en tête. Je suis revenu avec des projets concrets. Mais il fallait valider un certain nombre de paramètres. Il fallait notamment travailler avec les scientifiques de l’Ifremer et du CNRS qui accompagnent et guident mes travaux depuis 2006 pour savoir si les données collectées faisaient sens et s’il y avait un intérêt à retourner dans le Grand Sud. La réponse est totalement positive, sans l’ombre d’un doute. Nous nous préparons donc à retourner en Expédition OceanoScientific autour du Monde et principalement autour de l’Antarctique, dans le Courant Circumpolaire Antarctique qui alimente tous les courants marins de la Planète. C’est mon "terrain de jeu" favori, ma patrie.

Autre paramètre important, en arrivant au ponton du Yacht Club de Monaco, la première personne avec qui j’ai parlé est S.A.S. le Prince Souverain Albert II. Je lui ai aussitôt exprimé mon engagement à Le servir dans Son combat sur le thème de la préservation de l’Océan et de sa biodiversité jusqu’au terme de mes capacités physiques de navigateur - explorateur. Cet engagement est fondé sur une volonté d’efficacité. A Lui la prise de parole au plus haut niveau. A nous, explorateurs et aventuriers, de témoigner, de Lui apporter la matière pour enrichir Son discours, pour que Ses mots sensibilisent le plus grand nombre d’individus et décident Ses collègues Chefs d’États à agir au profit de la préservation de l’Océan et de sa biodiversité. Pour moi, le Prince Souverain est "La Voix de l’Océan" et tous nos efforts doivent Lui servir.

Toutefois, entre la volonté d’agir de cette manière et trouver la bonne méthode, il fallait du temps. Là encore, j’ai avancé dans un sens, puis dans l’autre. J’ai écouté des conseils. Pas toujours les meilleurs. J’ai eu de bonnes idées et de moins réalisables. Je pense avoir trouvé une méthode innovante et efficace au terme de plus d’un an de réflexion et de travail. L’objectif est d’élargir le cercle des humains qui considèrent que l’Océan est notre Avenir et qu’il faut le préserver, ainsi que sa biodiversité. C’est ce que j’avais évoqué de façon un peu réductrice en annonçant à mon arrivée à Monaco que je voulais "lever une armée" au service du Prince Souverain. Les termes étaient excessifs, je le reconnais. Mais l’idée est bien là et je m’y tiendrai.

Aujourd’hui je ne suis pas en mesure de révéler ce que nous préparons, mais c’est original, c’est d’envergure réellement mondiale et nous avons réuni l’essentiel des atouts pour que cela soit un succès…"

OSC : Vous comptez donc repartir. Prévoyez-vous de le faire à nouveau en solitaire ?

YG : "Il n’est pas question de repartir en solo. Le tour du Monde et la première campagne océanographique dans le Courant Circumpolaire Antarctique en solo, ça c’est fait. C’était génial, mais je ne vois pas l’intérêt de recommencer une telle aventure. On ne duplique pas les histoires d’amour ! La magie est dans la construction de l’Avenir, pas dans la répétition du passé.

Il est nécessaire de naviguer en équipage pour une réelle efficacité scientifique. C’est important également de préparer dès maintenant la relève pour les Expéditions OceanoScientific de ces dix prochaines années et au-delà. Notre action doit s’inscrire durablement dans le temps et mon idée d’équiper tous les voiliers de course océanique qui naviguent dans le Courant Circumpolaire Antarctique ne m’a pas quitté. Or, il faut savoir être patient avant de convaincre efficacement ses interlocuteurs…

Nous partirons à huit avec une parfaite mixité : quatre hommes et quatre femmes. J’y tiens beaucoup. Il y aura deux quarts de trois personnes. Pour chaque quart : un(e) chef de quart venu de la Volvo Ocean Race (la course autour du monde en équipage), un(e) équipier de haut niveau spécialisé dans un ou plusieurs domaines essentiels du bateau : énergie ou hydraulique, ou composite, ou etc. et une océanographe. En effet, deux jeunes femmes océanographes de grand talent seront à bord. Elles ont une expérience incroyable à elles deux. A ces six personnes nous adjoindrons un(e) pilote de drone qui sera chargé(e) des images et des observations scientifiques en altitude.

Je complèterai l’équipage avec le rôle de skipper - navigateur et de directeur d’expédition. J’ai plutôt l’impression de constituer un commando qu’un équipage. Car les défis que nous devrons relever sont élevés. Les objectifs nautiques et scientifiques sont ambitieux !

OSC : Quel sera le voilier qui vous permettra de relever ces nouveaux défis à la fois nautiques et océanographiques ?

YG : "Il fallait en effet décider du meilleur voilier pour y retourner. Cela peut paraître simple pour quelqu’un qui a plus de quarante ans expérience de la navigation à voile. En fait, c’était beaucoup plus compliqué que je ne l’imaginais.

Je suis parti sur de nombreuses pistes. J’ai hésité entre 18 mètres (60 pieds) et 26 mètres (85 pieds). J’ai hésité entre acheter un voilier vieux de trente ans ou concevoir et faire construire une nouvelle unité. J’ai écouté de nombreux conseils. J’ai imaginé de nombreuses solutions. Je suis allé voir un voilier au sud de l’Italie et j’ai même essayé un autre dans le Solent (GB) à la fin de l’hiver. Puis j’ai fixé mon choix sur un génial bateau de course, idéal pour mes prochains défis. Seul problème : il n’était pas à vendre !

Tout cela mis bout à bout représente neuf mois de travail. Il fallait aussi que ce projet de nouveau bateau soit financièrement réalisable. Il ne s’agit pas de rêver, mais de construire l’avenir sérieusement. Le voilier n’est qu’un outil pour nos campagnes océanographiques, même si c’est en partie grâce à lui que nous réussirons à relever les défis dans lesquels nous nous engageons.

La question fondamentale était pourtant très simple : Quel voilier a été conçu pour naviguer dans le Grand Sud rapidement et en sécurité, c’est-à-dire pour être capable d’échapper aux plus mauvaises dépressions en navigant parfois à fond, en "mode course" ? Réponse simple : un des huit Volvo Ocean 65 (VO65) d’une longueur de 20 mètres qui ont été dessinés par le cabinet américain Farr Design. Ils ont été remarquablement construits en carbone par trois chantiers différents en vue des deux dernières éditions de la Volvo Ocean Race, dont celle qui s’est achevée le 30 juin dernier aux Pays-Bas. Mais l’avenir de ces huit unités était imprécis. Nul ne savait avant la fin du mois de juillet ce qu’ils allaient devenir. En réalité ils vont pouvoir courir la prochaine édition de la Volvo Ocean Race (qui changera de nom) en 2021-2022. Ils seront réservés à des équipages de jeunes composés à égalité d’hommes et de femmes dans une classe à part, une "Junior Class".

Le mois d’août étant le mois de vacances, nous avons entamé au tout début de ce mois de septembre 2018 les démarches pour acheter le VO65 que je considère comme le meilleur des huit. Nous devons désormais le payer au plus vite pour éviter qu’il ne nous échappe ! C’est une course contre la montre qui est engagée.

Cette solution de voilier de course océanique est idéale pour moi. Je suis très heureux de mener ce projet qui va réunir navigations scientifiques et course océanique. Je reviens ainsi aux fondamentaux du Programme OceanoScientific tel que je l’ai imaginé.

En effet, en 2005, j’ai eu cette idée - qui paraissait totalement saugrenue à ce moment-là - d’équiper des voiliers de course océanique qui naviguent dans le Grand Sud, sous les trois grands caps continentaux, d’un matériel océanographique pour collecter des données scientifiques à l’interface océan - atmosphère, là où se "joue" le Climat et les offrir gratuitement aux scientifiques du monde entier.

Le 14 novembre 2006, j’ai présenté l’idée à un aéropage de scientifiques spécialisés. Ils l’ont trouvé intéressante. Mais ils m’ont expliqué que c’était impossible. Car aucun matériel n’existait alors pour réaliser de telles collectes scientifiques sur un voilier de course. Après dix ans de travail, d’efforts incroyables, financés en vendant tout ce que nous pouvions vendre mon épouse Cécile et moi et en passant très près de la faillite de notre petite société familiale, j’ai réussi à concevoir et à réaliser ce matériel : l’OSC System (pour OceanoScientific System), puis à démontrer son efficacité grâce à ce tour du monde en solo. Ça représente dix années de travail, ce n’est pas rien…

Aujourd’hui, nous sommes les seuls à disposer d’un tel matériel et d’une fantastique expérience en matière de collecte à la voile de véritables données scientifiques de qualité, réellement exploitables. Notons d’ailleurs que le nombre d’imposteurs en ce domaine s’allonge…

Les résultats scientifiques de l’Expédition OceanoScientific 2016-2017, établis seulement au mois d’août dernier, soit quatorze mois après mon retour - ce qui paraît long mais qui est nécessaire pour comparer ce que j’ai collecté par rapport à de nombreux éléments disparates de validation scientifique - vont permettre de nombreuses évolutions de l’OSC System. Par conséquent, nos prochaines expéditions seront d’une grande qualité scientifique et nos partenaires des instituts concernés sont très excités à ce sujet.

Pour prendre un exemple, lorsque nous avons débuté nos travaux, Fabienne Gaillard (Ifremer) considérait que ce serait un succès d’obtenir une précision de température d’eau de mer de surface de deux dixièmes de degré par rapport à la réalité et aux modèles scientifiques. Nous allons repartir en 2019 avec une capacité de précision de l’ordre du centième de degré, soit au maximum des capacités des meilleurs capteurs qui existent à ce jour.

La présence à bord de deux océanographes de talent nous permettra de calibrer régulièrement les capteurs déterminés par les scientifiques eux-mêmes, selon des procédures de laboratoire. Nous allons viser l’excellence.

Ce sera une grande première océanographique. Mais nous avons encore beaucoup de travail avant d’arriver à ce stade. Nous devons continuer de progresser sur cette voie avec une immense humilité !"

OSC : Quelles seront vos prochaines expéditions ?

YG : "Nous avons deux expéditions au programme. Toutes deux vont être constituées d’études qui n’ont jamais été réalisées dans cette immense zone de l’Océan. Par exemple, nous allons y observer les taux précis et la nature des polluants à la surface de la mer. Car y déceler des micro déchets et en estimer la quantité est une chose. Déterminer précisément la pollution qui contamine tout le vivant dans une zone où l’homme est absent, à commencer par le phytoplancton à l’origine même de la chaîne alimentaire, est beaucoup plus important. Personne ne l’a encore fait sur ce trajet dans le Courant Circumpolaire Antarctique sous les trois grands caps continentaux. C’est un de nos objectifs. Le résultat a des chances d’émouvoir un large public.

La première Expédition OceanoScientific à venir consiste à retourner autour de l’Antarctique durant l’été austral (Décembre - Février). Départ de Monaco fin octobre 2019, escale dans l’Archipel du Cap-Vert pour travailler avec l’Ocean Science Centre Mindelo (OSCM) à la calibration des capteurs embarqués. Nous serons en effet équipés de capteurs identiques à ceux que le GEOMAR Helmholtz Centre for Ocean Research Kiel utilise sur des bouées fixes au Cap-Vert, notamment en ce qui concerne les capteurs de pression partielle de carbone (pCO2) à la surface de la mer.

Ensuite, cap sur un point virtuel entre Cap Horn et Cap de Bonne-Espérance, sur le 40° parallèle Sud. Ce sera notre point d’entrée et notre point de sortie de l’Expédition OceanoScientific Été Austral 2019 - 2020 et des suivantes.

Nous aurons une petite soixantaine de jours de navigation sur un parcours de 14 à 15 000 nautiques (26 000 à 28 000 Km) autour de l’Antarctique, selon les conditions météo et la position des champs d’icebergs. Puis nous remontrons à Mindelo pour vérifier la calibration des capteurs scientifiques, sur la route de Monaco, que nous devrions atteindre environ à la fin du mois de mars 2020, probablement pendant la Monaco Ocean Week.

Après une maintenance de deux mois (Avril - Mai), nous partirons de Monaco début juin 2020 pour tenter ce qui n’a encore jamais été réalisé par un équipage depuis que l’Homme va sur les mers : le tour de l’Antarctique sans escale durant l’hiver austral (Juillet - Septembre).

Cette-fois-ci, nous n’envisageons pas d’arrêt scientifique à Mindelo, mais un tour du monde de Monaco à Monaco sans aucune escale. La descente, comme la remontée de l’Atlantique, représente environ un mois de navigation en fonction des calmes que nous rencontrons à toute saison au niveau de l’Equateur. Nous viserons à nouveau notre point d’entrée-sortie virtuel dans les Quarantièmes Rugissants, puis nous tournerons autour de l’Antarctique d’Ouest en Est, dans le sens dominant du Courant Circumpolaire Antarctique. C’est aussi le sens des vents dominants durant l’été austral. C’est moins vrai durant l’hiver austral. Nous pourrons y rencontrer de forts vents contraires. Nous verrons bien…

A cette saison hivernale les scientifiques ne disposent strictement d’aucune observation à l’interface océan - atmosphère dans le Courant Circumpolaire Antarctique, notamment parce que les satellites ne peuvent pas percer la couche nuageuse et qu’aucun bateau scientifique ne va y naviguer. Quant aux flotteurs dérivants de la communauté Argo, ils travaillent surtout sous la surface (jusqu’à 2 000 mètres et plus)et ne collectent pas les données des nombreux paramètres atmosphériques fournis par les capteurs que nous embarquerons, ni celles qui proviendront de nos travaux en altitude avec des drones, juste sous les nuages. Nous rapporterons également beaucoup d’échantillons en tous domaines, afin de permettre l’étude, à terre dans les laboratoires, de la biodiversité de surface.

SI tout va bien - et c’est un SI majuscule ! - nous espérons être de retour à Monaco à la fin du mois d’octobre 2020.

Nous abordons ce défi avec une immense humilité. Nous ferons tout ce que nous pouvons pour bien le préparer. Mais, à la fin, c’est l’Océan qui décidera ! Nous essayerons d’être dignes de lui, comme je l’ai été moi-même durant l’Expédition OceanoScientific 2016-2017 en solo.

OSC : En ce moment, en cette fin d’année 2018, à un an du prochain départ autour du Monde, quelles sont vos tâches les importantes ?

YG : "Que ce soit pour partir sur l’Océan à la conquête d’une victoire sportive, pour tenter de battre un record ou pour collecter des données océanographiques inédites au profit de la communauté scientifique internationale - à qui nous offrons gratuitement ce que nous collectons avant de le stocker et de le préserver à Monaco au profit des futures générations d’océanographes - le jeu est le même : Trouver les financements qui permettront de nous préparer correctement. C’est impératif pour réussir ce que nous entreprenons. Le succès repose sur la qualité de la préparation, donc sur le financement dont nous disposerons effectivement pour cela.

Mon tour du monde réussi en solo a mis en évidence que nous sommes capables de relever les défis dans lesquels nous nous engageons. Ainsi, nous constituons actuellement un groupe de passionnés qui vont financer ces prochaines campagnes océanographiques à la voile, sans aucun rejet de CO2 ni déchet. Je les appelle les "OceanoScientific Angels". Je suis très heureux et très fier de leur engagement à mes côtés, de la confiance qu’ils me témoignent.

Même si ces "OceanoScientific Angels" ne viendront à bord que lors des navigations préparatoires en Méditerranée ou au Cap-Vert, ils feront partie à 100% de l’équipage de "OSE", ce nouvel OceanoScientific Explorer pour relever nos défis dont la vocation est d’aider les scientifiques à mieux connaître l’interface océan - atmosphère, à mieux comprendre les causes et les conséquences du changement climatique, pour nous aider à préserver l’Océan et sa biodiversité au profit des générations futures.



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