Vendée Globe • Imoca L’Occitane
Clarisse Crémer : "je n’ai plus d’ordinateur de bord. Ni de logiciel de navigation"
vendredi 27 décembre 2024 –
Après un Réveillon toujours entaché par la déception d’avoir manqué le front, le 25 décembre à bord de L’Occitane en Provence aura été marqué par la perte - qu’on espère temporaire - des deux ordinateurs du bord. Le Boxing Day passé à bricoler, la navigatrice n’a en effet pas été gâtée. Et, au contraire, a particulièrement attiré l’attention du Grinch et du père Fouettard, qui semblent s’être passé le mot pour rôder, à tour de rôle, autour de l’IMOCA bleu et jaune…
C’est comme si le ciel lui tombait de nouveau sur la tête. Après un premier coup dur mardi dernier, alors que son chariot de hook de grand-voile décidait de lâcher, l’empêchant d’attraper le front qui devait la mener jusqu’au cap Horn, et lui permettre de recoller au groupe de devant, les ennuis continuent pour Clarisse Crémer. Elle avait pourtant accompli le tour de force de réussir à faire le deuil de cette opportunité manquée, à coup de musique, de biscuits favoris et de méthode Coué, à se répéter « On est contente ! » à l’envi, bien qu’il soit « dur de voir partir les autres de devant ». Heureuse d’être toujours en course et prête à célébrer les Fêtes, elle s’adonnait ainsi ce lundi à une séance d’essayages de couvre-chefs de Noël, à l’autre bout du monde, au moment de dépasser l’archipel des Antipodes. S’avouant « un peu déphasée », bloquée dans une dorsale, entourée d’une éternelle grisaille et ballotée dans une mer toujours très formée, la skipper s’amusait même de ce décalage, assurant que « le ridicule ne tue pas » et demeurait bien « le cadet de (ses) soucis », occupée comme elle était à lutter contre le froid et à se préparer pour affronter les violentes dépressions qui avaient prévu de jalonner sa route vers le continent sud-américain.
Blue Thursday et blues de Noël
Le « moral à zéro côté météo », Clarisse Crémer pensait voir sa chance enfin tourner mardi 24 décembre, comme un cadeau de Noël avant l’heure, lorsqu’elle parvenait à réparer définitivement son système d’accroche de grand-voile… et retouchait du vent lui permettant de faire route directe vers l’Est : « On est reparti, on file à 23 noeuds de vitesse ! » De quoi recharger les batteries, et le moral, avant de se faire « défoncer » par une violente dépression, qu’elle avait bien anticipée et savait comment négocier. Mais c’était sans compter sur une fuite d’eau au niveau du col de cygne, zone de jonction entre les câblages du mât et l’intérieur du cockpit, qui venait noyer ses deux ordinateurs de bord… « Comme c’est toujours le cas avec la loi de Murphy, j’avais mes deux PC de sortis, explique-t-elle. Parce qu’en début de course j’ai eu des problèmes de PC, je les avais installés l’un sur l’autre, prêts à être échangés. Et comme une cloche, je n’ai pas re-rangé le PC de spare plus tard, pour qu’il soit prêt à l’usage si le principal refaisait des siennes. Je n’avais pas pensé à la voie d’eau à cet endroit-là, j’avoue. Du coup, les deux ont pris l’eau et je n’ai donc plus d’ordinateur de bord. Ni de logiciel de navigation. »
Pas de cadeau au point Nemo
Tandis que les conditions météo se renforcent et qu’elle évolue dans un vent très instable, entre 25 et 35 nœuds, qui devrait encore forcir entre 30 et 40, Clarisse navigue donc « à l’iPad », telle une plaisancière, à l’aide de logiciels bien moins complets que son software habituel, Adrena. « J’ai un peu l’impression de naviguer à l’aveugle, je n’ai pas mes repères et je dois faire attention à bien respecter les zones interdites et à redoubler de vigilance vis-à-vis des piques météo. Je vais m’habituer, je trouverai des subterfuges si besoin, mais ce qui est dur c’est que c’est un vrai plaisir pour moi de faire mes routages, et je me retrouve à 20% de mes capacités de réflexion météorologique habituelles. » Dans l’impossibilité de réaliser de fines analyses et de cogiter sur la meilleure stratégie à adopter, forcée pour le moment d’aller là où sa sommaire application le lui dira, l’aspect performance n’est pas le seul dont se soucie Clarisse. La sécurité est en effet au coeur de ses préoccupations, alors que la tempête la guette et que les réparations seront au programme des prochaines heures.
« Quiz du jour : quelle est l’activité que vous rêveriez de faire sur un IMOCA, au niveau du pointNemo, au milieu des mers du Sud, avec 30/35 nœuds de vent et 5 à 6 mètres de houle ? » Ironise malgré tout « Clacla », décidément dotée d’un sens de l’humour à toute épreuve. « Moi, j’ai choisi l’électronique ! C’est tout à fait adapté ! » Car l’espoir demeure pour la skipper et son équipe de « ressusciter » l’un de ses deux ordinateurs, en combinant différents éléments et processeurs, pour un PC « deux en un ». « J’essaye de faire sécher celui qui a le plus pris l’eau mais qui n’était pas allumé à ce moment-là et qui a donc une petite chance d’être encore vivant, espère-t-elle. Je l’ai démonté et je le met au chaud, dans un sac avec la sortie d’air du moteur. Le bricolage très fin, ce n’est déjà pas ma tasse de thé en temps normal, mais alors là, sur un bateau comme ça… c’est assez coton ! »
Quand Benji remplace Sammy
Maigre consolation dans toutes ses péripéties ? Bénéficier de la compagnie de Benjamin Dutreux, revenu dans son tableau arrière, au moment de se séparer de sa binôme Samantha Davies qui a opté pour une route au Nord afin d‘éviter le plus gros de la tempête : « Je suis contente d’avoir quelqu’un à côté. J’avais l’impression qu’il y avait aussi beaucoup de vagues par le Nord, peut-être un peu moins de vent, mais beaucoup de vagues aussi. De toute façon, je n’ai plus les outils pour choisir la meilleure route, c’est typiquement le genre de décision que je ne peux plus prendre. » La perspective du passage du cap Horn pour le Nouvel An, juste après avoir fêté ses 35 ans pourrait également panser les plaies, dans des conditions plus maniables, de jour et à vue pour couronner le tout ? Une récompense à la hauteur des efforts déployés, que l’on souhaite à la navigatrice est qui serait bien méritée !