Sea, Sail & Surf news

Du grand large à la plage : Toute l’actualité des sports de glisse depuis 2000

Open 60

Antoine Koch garde le Cap

Suite des chroniques de deux marins en route vers le Sud

lundi 13 janvier 2003Christophe Guigueno

Antoine Koch, dit ’Petit Scarabée’ et son accolyte Eric poursuivent leur descente vers le Cap de Bonne Espérance. Les deux bienheureux glissent doucement mais surement vers Le Cap à bord de L’Héautontimorouménos (L’Imprononçable pour les autres et les non-poêtes). En une semaine, ils ont progressé de 1100 milles, cherché le vent et même l’ombre de leur cocotier, sans en faire... Et parfois en s’en faisant, comme quand ils croisent des déchets sur la mer ou tentent de trouver la liaison technique et littéraire entre houle et vague. Chronique sans vagues à l’âme...

• 06 janvier (Eric) : "Salut les jeunes !"

C’est entourés de petits dauphins que je vous écris ces lignes, par un temps magnifique, le soleil pile au dessus de notre tête... pas d’ombre, ça tape comme c’est pas permis, on est sous GV et grand spi, ça avionne bien. On était en début de nuit sous GV-génois-trinquette, puis on est passé, alors que vous étiez profondément endormis, à 1h50 TU, sous GV-trinquette-génaker, puis ce matin, après le levé du jour, on a envoyé le spi.... sympa, ces changements, pour connaître un peu mieux le bateau, les plages d’utilisation des voiles, etc. Et en plus, ça fait toujours plaisir d’aller vite. Le but étant de ne pas aller trop Est pour ne pas tomber dans l’anticyclone, et de descendre vite au sud-est pour choper la dépression qui pointe son nez. Les mecs de la Volvo on mis 1 semaine pour faire Trindade-Le Cap... et on passe aujourd’hui Trindade, alors on lance le compteur ! On n’est pas sous pilote, ça va plus vite quand on barre et chacun prend son pied au bout du manche...

Sinon, la petite douceur en fin de nuit se confirme, mais en journée, il a jamais fait aussi chaud, avec le soleil aussi droit. C’est pas génial pour la sieste, mais par contre on a perdu tout notre gras. C’est toujours ça de gagné ! Quelqu’un peut-il nous communiquer la latitude du Tropique ainsi que son nom (moi, je dis Capricorne et Antoine dit Cancer). On suppose qu’on ne doit pas en être loin. Voilà, je vais préparer le déjeuner. Couscous-thon-boîte de tomates, arrosé de Château la Pompe 2003. Je commence à penser à la bonne bouffe que je vais m’enfiler arrivé en Afrique ! L’ambiance à bord est comme le baro, au beau fixe. J’ai jamais écouté autant de musique, ici, y’a pas les Grosses Têtes ou Ruquier... Allez, à bientôt sur radio-net (le radio cocotier du large)

- Position à 14h12 TU 19°25S / 27°34W, à 94 milles dans le nord-est de l’île Trindade, à 2620M du Cap, sachant qu’on amorce notre virage à gauche dans la journée, on va se rapprocher plus vite du but.
- Vitesse Vitesse #speedsailing 12-13-14 Nœuds, au 153°, pour l’instant.

15h24 : le repas s’est déroulé sur la plage avant, seul coin d’ombre avec le spi. Délicieux, vue imprenable, le pied.

Ah tiens, je ne vous ai pas parlé des méduses-Voilier. Ce sont des bêtes rose-bleutées qui ont une sorte de voile en arc de cercle au dessus de l’eau. Elles font 20cm de long et 5cm de large, en gros. On en voit pas mal, c’est très joli, mais ça pique aussi très fort (on n’a pas essayé, mais j’le sais).

Pour l’anecdote, Antoine a prit son quart à 22h, je suis donc allé me coucher. A 22h33, il me réveille, pour me montrer une lumière bizarre à l’Est, qui est rouge et qu’on ne voit pas tout le temps... Bref, la fusée de détresse, un ovni, ou un truc étrange, la raison idéale pour me réveiller. J’ai eu du mal à lui faire comprendre que c’était un levé d’étoile, tout comme le soleil ou la lune peuvent se lever... heureusement qu’il ne m’a pas fait le coup pour les milliards d’étoiles qui se sont levées la nuit dernière.

D’un autre côté, quand on a un doute, vaut mieux demander l’avis de l’autre, mais bon.

Eric, (texte approuvé par Antoine)

• 07 janvier : "les chevaux sont lancés"

"C’est parti, les chevaux sont lancés. On est toujours sous GV et grand spi, on avionne toujours autant si ce n’est plus, on a empanné à 16 pour allé chercher la dépression... on la voit devant, on réempanne à 23h en principe, pour l’accompagner vers l’Est. On n’a pas lâché la barre depuis hier, le pilote ne barre pas dans ces conditions. Et ça va plutôt assez vite... C’est vraiment très sympa, mais aussi fatigant, physiquement d’une part mais aussi rester concentrer pour ne pas partir au tas."

- Position à 18h26TU 22°59S / 23°51W, cap 170°au fond jusqu’à 23h, puis 100° ensuite.

Eric et Antoine

• 08 janvier : "c’est un tapis roulant sans fin"

"On a réempané à 2h ce matin, en changeant le spi pour le génak, dans le but de laisser le pilote barrer pour qu’on se repose un peu. Même vitesse Vitesse #speedsailing mais un peu plus lofé. On fait route au 93°, on essaye de suivre le front entre dépression et anticyclone pour garder du vent.

Il y a des choses qui prouvent qu’on avance, comme diminuer l’échelle des cartes pour voir sur la même et le bateau et Le Cap. Ca vous parait bizarre, mais c’est vrai que ça fait plaisir. Il y a aussi le changement des couleurs du ciel au fur et à mesure de notre progression vers le sud, la Température qui change un peu, les vivres qui diminuent, etc. Ces petits signes qui prouvent notre progression. Parce que sans ça, on pourrait croire qu’on fait du sur place, l’horizon est toujours rond, les poissons volants tombent toujours sur le pont, c’est un tapis roulant sans fin... le décor seulement change, le Fou de Bassan s’est trouvé des remplaçants, un cargo passe de temps en temps (on a empanné à côté d’un gros assez proche cette nuit, on était tout feu éteint, comme des pirates.), l’allure diffère... Bref, on se prend à croire que c’est Le Cap qui s’approche et non nous qui avançons. Faut bien délirer un peu, ça change !

On était un peu fatigué après ces heures sous spi (36h en gros), et après l’empannage, je suis allé me coucher... réveil à 6h30, Antoine dormait tout habillé, avec le harnais, sur sa bannette... il a du essayé de me réveiller, mais il a abandonné pour s’endormir en vrac. Il est 9h et il vient de se réveiller. On récupère comme on peu. On a chacun pris nos quartiers dans le bateau, Antoine dort à tribord, moi à bâbord. Peu importe le bord sur lequel on navigue. Chacun sa chambre.

• 09 janvier : "Caramba !"

On s’envole dans les pronostics d’arrivée. Ce qui est sûr, c’est qu’on arrivera un jour, mais on apprécie plus quand c’est désiré... alors on prend notre temps. Quand on va pas trop vite, c’est fou le nombre de cochonneries qu’on voit passer, de l’aérosol, en passant par la bouteille plastique, une caisse (mais pas de rouge) ou un morceau de filet. Il doit y avoir un courant par ici,mais c’est toujours malheureux de constater la pollution même dans des coins très reculés. Voilà, il fait toujours beau, nuageux à l’horizon, un peu plus frais et la mer est toujours aussi belle. On a empanné cette nuit pour descendre un peu sud, chercher le vent, puis réempanné ce matin, puis récupéré le fichier météo pour constater que les vents faibles nous entourent... Caramba ! (dixit Antoine), on est pas arrivé au bout de nos peines. On est sous GV + grand spi, le pilote barre pas terrible à cette allure, alors on se relaie. Zen, calme, respiration, tout est bon pour apprécier le moment présent sans se tirer les cheveux. On n’est pas en course, heureusement, autrement c’est perdu d’avance. Mais toutes les bonnes choses ont une fin, on va bien finir par toucher le souffle d’Éole un peu plus accentué. Une bonne nouvelle révélée par Antoine : on est a moins de 2000M du Cap. On va féter ça, mais cette fois sobrement... l’ensemble de l’équipage ayant terminé toutes les bouteilles.

A la recherche de l’ombre perdue (Antoine)

C’était il y a trois jours déjà. La température baissait et on s’en félicitait. C’était la nuit. Puis le jour c’était levé, et jamais on n’avait eu l’impression qu’il pouvait taper si fort, le soleil. Eric se demandait pourquoi. Et pour réfléchir, Eric, il a besoin d’être à l’ombre. C’est dans sa nature, la sieste à l’ombre des cocotiers. Alors Il s’est mis à sa place habituelle, à l’ombre du cocotier du bord. Et c’est là que c’est arrivé. Le pont était brûlant. Inondé de soleil. Pas la moindre ombre sous le cocotier. Pas la moindre ombre à bord. Disparue, l’ombre. Intrigué, Eric, il s’est mis à la recherche de l’ombre perdue. Elle était cachée sous le mât. Juste cachée dessous, l’ombre, inutilisable pour la sieste. Vicieuse. Le verdict du GPS était formel : latitude : 25°S. Il aurait dû s’en douter, Eric. Quelques milles au Nord du Tropique du Capricorne, quelques jours après le solstice d’été, le soleil est à son zénith, à la verticale du mât, des voiles, du roof, et de tout le reste aussi. Rien. Pas d’ombre.

- position à 20h31TU : 25°52S/17°28W à 1918 milles sans vin du Cap
- ETA un jour peut être, mais bon, y a pire comme endroit

Eric et Antoine

Nota : on confirme, trop de soleil attaque les neurones autant que le rhum...

• 10 janvier : "Éole nous fait tourner la tête"

Voilà un titre qui veut tout dire... alors, rien à rajouter. Ca résume parfaitement notre situation. Ils mettent notre patience à l’épreuve, mais nous ne nous courberons pas sous la puissance des éléments...

On a fait quand même 170M ces derniers 24h, par moment le vent est bien établi, ce qui nous permet de très bien avancer... comme y a 5min, mais là c’est re-pétole, pour 10min, 1h, 3h, on ne sait pas. On est entouré de nuages, faut-il aller les chercher, comme ce qu’on a fait il y a 2h, un bon grain blanc où le vent passe de 0 à 20nds, on avance bien pendant 30min, puis une énième pétole... puis rebelote. Au moins un grain rince, un luxe tombé du ciel, rincer les animaux et l’écurie, rafraîchir le tout...

10h35 : Et là, il y a 0 noeud de vent... pour combien de temps... affalage du genaker, pour être sous GV seule, en attendant le prochain souffle. On est à 1.5 nd, le moteur ne pousse guère plus si on veut le préserver... On a affalé le spi cette nuit, dans la pétole avec un vent qui tourne de 180° en quelques secondes et la chaussette a fait un noeud. Ca nous fait du boulot pour aujourd’hui, rien de bien méchant. Donc pas trop d’humeur à raconter des blagues. Les couleurs sont jolies au levé du soleil, à part ça on préfère comme avant. Un truc rassurant, c’est qu’on a 36h d’avance sur le routage... mais bon, quand on avance à 1.90 noeuds, c’est 2 fois plus rapide qu’à 0.95 noeud, alors on prend facilement de l’avance.

11h25 : c’est reparti, GV + génak, 10 noeuds, sur la route. A chaque fois, on croit que c’est bon, c’est établi, on en est sorti... et 20min après, stop. Et comme on n’est pas superstitieux, on se dit qu’on est toujours dedans, on sait jamais, des fois que...

14h11 : à 5-9nds, quasi sur la route. On va bien finir par arriver !

- Position à 14h : 26°04S 15°38W
- à 18h22 à 1783M du Cap.

• 11janvier : "navire glissant sur les gouffres amers"

Antoine : Depuis hier après-midi, les mouvements du bateau ont changé. Il ne fait pas que gîter, accélérer et freiner, il monte et il descend aussi. C’est venu d’un coup, au réveil de la sieste. C’est venu de nulle part, mais ça vient du Sud-Ouest. Long train de houle. Longue et assez haute. Régulière et bleue. On est actuellement au dessus de la dorsale medio-atlantique, alors ça peut venir de là. Mais l’imaginaire voudrait que ce soit plutôt le premier signe annonciateur du Grand Sud. Irréel mélange d’un ciel alizéen et d’une mer venue, après un long voyage, de l’enfer austral. Un long voyage qui l’aurait adoucie, étirée, épuisée, cette mer qui vient mourir dans des latitudes qui ne lui ressemblent pas.

C’est une question de vocabulaire, entre Eric et moi. Pour moi, une vague est une vague, quelle que soit sa fréquence et son amplitude. Pour Eric, une vague n’a rien à voir avec une longue houle. Le problème est de définir la frontière. A quel moment une petite vague grandissante devient une longue houle ? A quel moment une longue houle mourante devient une petite vague. Le dictionnaire n’indique pas de limite tangible, de vraies limites avec des chiffres. Fréquence supérieure à tant, amplitude inférieure à tant : vague. Fréquence inférieure à tant, amplitude supérieure à tant : houle. Qu’on risque pas de commettre l’irréparable en confondant Une vague et La houle. Sinon c’est le bordel. Et Eric, ça, il supporte pas. Il en serait dépité. On rigole pas avec les choses sérieuses.

Eric : je navigue sans m’en rendre compte depuis 3 semaines avec un petit scarabée (il aime bien ce surnom) qui a bouffé un dictionnaire... Pour moi et depuis ma tendre enfance, la houle, la mer et les vagues ne sont pas une histoire Histoire #histoire de fréquence (laissons la nature hors de ces propos scientifiques) mais plus une histoire Histoire #histoire de vent, de courant, de phénomènes marins. "Le coup de vent a créé une houle d’ouest mais depuis hier, le vent du nord apporte des vagues courtes qui créent une mer croisée". Voilà un bon exemple de différence entre les termes... mais bon, j’admets que certains puissent penser différemment, c’est donc pour ça que je ne contredirai pas Antoine. Si vous avez une réponse à cette différence, faites nous en part.

Dans 12h, si tout va bien, on change d’échelle. On passe de la 25 millionième à la 10, pour voir et la bateau et Le Cap sur l’écran d’ordi. C’est un truc qui fait du bien, preuve qu’on avance.

On n’a pas eu de fichier météo depuis 2 jours, mais ça ne nous manque pas tant que ça parce qu’au final on va tout droit, en se jouant des prédictions nous faisant passer dans des anticyclones imaginaires. Pourvu que ça dure, c’est le chemin le plus court, espérons que ce soit le plus rapide.

Vous n’imaginez pas comme le paysage à changé en 1 semaine, un changement significatif tous les jours, ça vous change le décor... vent, pas de vent, houle, vague, soleil, nuages, des ingrédients quotidiens qui vous changent le goût suivant la façon de les accommoder. A propos, on a bien mangé ce midi, 2 Lyofal chacun (poudre avec de l’eau), Antoine a pris en entrée un Couscous à l’Oriental, moi un Hachis Parmentier aux petits oignons, puis en plat on a pris chacun un Parmentier de poisson à la Provençale... délicieux, mais on se prend à rêver de tomates mozzarella, de steak, de camembert, de glace chocolat... Bref, de vrai bouffe.

On vous laisse, sieste pour l’un, lecture et vaisselle pour l’autre... dur, dur.

- Position à 14h25 26°51S 11°57W à 1621M du Le Cap... à 0,003 noeud au 270°.
- Estimed time arrival next year...
- Non, au 90° à 7nds... ETA dans les prochains jours.

Petit Scarabée et Eric

• 12 janvier : "Et pendant ce temps là..."

On prend notre mal en patience, le petit temps nous accompagne toujours, entrecoupé de quelques souffles plus puissants. Mais on avance, je vous ai dit hier qu’on changeait d’échelle sur la carte électronique, et bien ça y est, on y est passé à 11h ce matin. Le logiciel nous dit aussi qu’a cette vitesse, on arrive dans 20 jours... on est à 1500M du Cap. Aussi rapide qu’un Évasion 32, mais moins confortable, il n’y a pas de rideaux, pas de frigo ni banquettes... juste la musique pour adoucir les mœurs.

Il y a plein de petites algues bizarres autour de nous, on les voit bien, la mer est d’huile. L’eau est toujours très claire, la T° confortable (30° a vu de nez). Toujours sous GV et génaker... quand on roule le génak, c’est juste parce qu’il n’y a plus de vent et il ne sert alors à rien, comme hier soir. Au couché du soleil, on était entourés de grains, plus ou moins proches... lumière magnifique au moment de l’apéro (jus de thon en boîte, devriez essayer, c’est pas mal !) et Éole qui était parti en vadrouille, nous laissant là le souffle coupé... pour revenir en fin de repas (il devait avoir un Rendez-vous ailleurs, une bouffe ou quelque chose...). On a correctement avancé cette nuit, pour finalement commencer à ralentir vers 4h... Et maintenant ça revient timidement. Il est 11h30TU.

C’est fou ce qu’on lit en mer... On lit ce qu’on a et quand il n’y en a plus, on lit des trucs qu’on ne lirait jamais autrement... J’ai lu 6 bouquins depuis le départ, avec plus ou moins d’assiduité suivant les conditions. C’est pour ça qu’on est très occupés, pas le temps de faire grand chose, les journées passent trop vite. On dort, on mange et on lit.

Sinon, rien d’exceptionnel à raconter, la mer est plate mis à part la houle, comme mon imagination.

- Position à 11h30 : 26°53S 9°37W.
- Vitesse et cap suivant l’humeur.
- A 1505M de notre but africain.

Petit Scarabée et Eric

Information Magali Jousselin pour L’Héautontimorouménos Media Team



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