Polo le Havrais

Il y a 14 ans, Paul Vatine disparaissait en mer

Paul Vatine, coureur océanique, 21 juillet 1957 - 21 octobre 1999

lundi 21 octobre 2013Redaction SSS [Source RP]

Paul Vatine a disparu le 21 octobre 1999, quelque part entre l’archipel des Açores et les côtes du Portugal. Son trimaran "Groupe André", lancé en 1994 sous le nom de "Région Haute-Normandie" a chaviré dans la tempête cinq jours après le départ de la 4e transat Jacques Vabre Le Havre-Cartagena alors que Paul était à la barre. Jean Maurel dormait à l’intérieur. Il s’est extrait de la coque par la trappe de survie et a été récupéré par un cargo 15 heures plus tard.


Ce jeudi 21 octobre 1999, un peu plus d’un an après Tabarly, le "maître" qu’il admirait, Paul avait rendez-vous avec le destin auquel il se savait promis. Il rejoignait dans la litanie des navigateurs jamais revenus un autre marin à l’existence aussi décalée que la sienne, Alain Colas, disparu un peu au même endroit, un peu de la même manière, 20 ans plus tôt...

Paul est parti, en course, à bord du bateau qu’il avait voulu. Cette transat au départ du Havre, c’était un peu la sienne. A deux reprises, il l’avait remportée, lui, le Havrais viscéral qui avait décidé, un jour de 1990, que la voile hauturière n’était pas l’apanage des seules côtes bretonnes, mais que sa région, la Normandie, sa Baie de Seine et ses hautes falaises pouvaient aussi accueillir la course au large et ses fabuleuses machines...et qu’un marin normand pouvait aussi prétendre aux plus hautes marches du podium... victoires dans les transats Jacques Vabre 93 et 95, deux fois second des Transats Anglaises en solitaire 92 et 96, second du Tour de l’Europe 97 et de la Jacques Vabre 97, deux fois troisième de Québec saint Malo, deuxième de la Route du Rhum 94...

Une jeunesse adossée à la mer…

Paul Vatine est né au Havre un 21 juillet de 1957. Pendant 22 ans, il y grandit en modestes turbulences, dans l’anonymat besogneux de l’une des plus grandes portes océanes de France. Dans l’absolue ignorance, aussi, des mystères et des merveilles de l’univers maritime qui s’étale pourtant jusqu’au cœur de « sa » ville.

Nichés au cœur de Sanvic sur les hauteurs du Havre, les Vatine sont semblables à ces nombreux habitants de la pointe de Caux pour qui la mer ne représente ni avenir professionnel, ni récréation à grand frisson. On regarde entrer et sortir le « France », les pieds dans les galets et les yeux dans le gris, simplement heureux d’un spectacle fugace que l’on devine éphémère.

Pierre et Paul, fils de Jacques et Janine Vatine, se plient de bonne grâce à ces promenades dominicales. Chahuteur et indiscipliné en classe, Paul, de deux ans le cadet, ne perçoit encore qu’imparfaitement l’incompatible influence qu’exerce sur son esprit encore neutre la double ambivalence du père, rebelle et iconoclaste à toute forme d’ordre établi, mais brûlant d’élever socialement juste un petit cran au-dessus de lui-même ses deux rejetons.

« Ni Dieu ni Maître » serine Jacques le menuisier dans l’atelier familial. Petit Paul entend « Liberté », « Indépendance », « Action » ! « Mais passe ton bac d’abord et sers toi de ton cerveau pour éviter la sciure et les copeaux ». A 22 ans, Paul allumera lui-même la mèche qui fera tout sauter, plan de carrière, rêves du père et vie rangée. Adieu l’Ecole de Commerce, bonjour les paras. Prix à payer pour croire à la liberté : des années d’incompréhension, et le couperet qui tombe sur l’enfance. Fin du premier acte.

L’apprentissage, contre un sandwich et une couverture

Le rideau se lève sur 1983, An 1 de l’homme Vatine et début de la fulgurance. Petit et chétif, tel se voit « Polo le Havrais » qui ne connaît du sport que la course à pied. Un talent naturel pourtant. Vatine est tout en jambe, et ses 62 kilos volent au dessus de l’asphalte et des chemins de la forêt de Montgeon. « Les paras, c’était un défi personnel » reconnaît-il. Mais surtout une sorte de voyage initiatique au pays de la dureté, morale et physique. Un test grandeur nature et une confirmation : « Je peux tout endurer ! » Vatine multiplie les sauts, de jour comme de nuit, et dévore insatiablement ses rations pantagruéliques de course à pied. La discipline et les chicaneries militaires le laissent de marbre ; « j’avais besoin d’un moule simple dont on épouse les contours facilement. » Les longues jambes maigres tournent infatigablement, mais déjà moins vite que le cerveau.

Le désir violent d’indépendance qui l’habite exacerbe aussi l’envie de comprendre, de tout comprendre, la vie, les hommes et les moteurs de l’existence. Paul gamberge, Paul cogite, Paul analyse. Les livres et les mots dansent derrière ses yeux enfiévrés. Le sourire trahit encore l’enfance, car l’humour reste sa plus solide passerelle vers un monde auquel il adhère de moins en moins. Mais le front se plisse et le regard n’accroche plus les civilités convenues des terriens. Car Vatine navigue à présent. Alain Gliksmann a repéré sur les pontons havrais les deux frangins récemment licenciés par la volonté du père au club de voile local. Paul est en selle. Sa cavalcade durera 16 ans et épousera mot pour mot et transat pour transat les extraordinaires circonvolutions de la voile océanique française de la fin du XXe siècle.

Profession : coureur océanique !

Par désœuvrement, un peu, par intuition, beaucoup, Vatine a choisi la mer. Et le compte-tour de son existence s’affole à présent. Paul est aux Antilles, puis à New-York… convoyages, pour le rêve et le fun. Québec Saint Malo 1984, pour une première transat en course. Les multicoques océaniques balbutient leurs transats. Il faut des bras, de la débrouille, de l’insouciance-inconscience. De l’humour, toujours. Paulo donne tout cela. Il reçoit aussi. Des embruns, des bleus, des coups de gueules et de sacrées vacheries aussi… records de l’Atlantique 1986 avec Royale, 1987 avec Jet Services, des Courses de l’Europe, Québec saint Malo toujours et encore… Route du Rhum déjà, 1986, et la méchante charge d’un cargo aveugle sous les Héaux de Bréhat. Méchante aussi la mer, qui lui enlève Castenet, Moussis, et plus tard Roufs, Florin… Paul ne rit plus, ou très peu, à l’évocation de ses potes d’enfance au Havre.

En menuiserie comme en mer, l’apprentissage ne peut durer qu’un temps. Paul veut exister pour lui-même. « J’ai cru alors qu’il me suffirait de me construire un palmarès en mon nom pour atteindre au repos et à la satisfaction ». A 33 ans, il boucle son premier Rhum fin 90, dans la douleur, le doute et pas vraiment solo. Car Mireille est là, petit roc corse d’1,62 mètre qui ramène Paul sur le chemin des Merveilles, préserve les rêves et encaisse coups bas et trahisons.

L’heure des choix

1992, les lois du marketing et de la communication bien gérée se sont emparées de la course au large. Les navigateurs avancent, bardés de sponsors et d’attachés de presse qui carburent au « 20 heures » et à la minute d’antenne. Vatine lui, fait sa révolution intérieure. Il sait que pour gagner, il doit désormais faire la peau à ses doutes et à ce qui lui reste d’insouciance. Le chemin des douaniers de Saint Quay-Portrieux voit chaque matin dès l’aube passer un drôle de paroissien ; l’étrange silhouette en forme d’oiseau mazouté déploie ses ailes et avale dès potron-minet ses 12 bornes au galop. Et ça marche ! N’en déplaise à certains chroniqueurs, il est l’empêcheur de « Peyronner » et de « Bourgnoner » en rond des années 90.

Mais le sablier de sa vie s’égraine sans rémission. Novembre 98, il s’aligne au départ de sa 4e Route du Rhum. La belle transat s’est refusée à lui 4 ans plus tôt pour trois petites heures. Cette fois Vatine est prêt. Oh, pas matériellement, car l’argent le fuit. Mais l’homme est mûr, le guerrier impitoyable au sommet de sa motivation. Une semaine en tête de course, et il omet de tourner à droite après les Açores. Huit années d’effort et d’ascétisme lui pètent à la figure, et le fracas de ses convictions atomisées lui renvoie à la vitesse d’un trimaran empétolé les tumultes de son existence. Alors que les clameurs Antillaises couronnent d’autres héros, le Havrais, immobile en son microcosme Atlantique, cherche un sens à l’engagement de toute une vie. « J’ai fait un long chemin intérieur ! » C’est Vatine-Galaad qui débarque à Pointe à Pître. Son Graal s’est volatilisé à la minute où il croyait le tenir. L’armure resplendissante est en loque, et pourtant, l’homme qu’elle ne protège plus irradie de force et d’authenticité.

Sa fureur s’en est allée, le laissant serein et apaisé. La mauvaise barbe mange le visage émacié, mais le regard illumine d’une bouleversante intensité. Les yeux rient de nouveau. Ils riaient encore un an plus tard au départ de la 5e Transat Jacques Vabre…


Voir en ligne : Info presse Denis Van den Brink / http://dvdbnews1.fr

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