Route du Rhum
Sidney Gavignet : " le bateau s’est couché à la verticale"
"je n’ai pas pensé que ma vie était en danger. Je n’étais pas vraiment inquiet"
jeudi 4 novembre 2010 –
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Hier, mercredi 3 novembre, à 16h48 CET (GMT+1), Sidney Gavignet a déclenché sa balise de détresse, bras de liaison tribord, flotteur et mât cassés. Une avarie grave survenu à quelques 250 milles des Açores alors que Oman Air Majan occupait la 5e place du classement et progressait à 18-20 nœuds au près dans une mer peu formée.
Les opérations de secours ont été rapidement enclenchées par l’organisation et l’équipe à terre de Sidney qui a pu être récupéré 4 heures plus tard, à 20h50, par le Cavo Alexander, un vraquier canadien qui faisait route vers la Turquie.
Il est encore trop tôt pour savoir si Sidney débarquera du Cavo Alexander à Gibraltar ou à Malte. Une chose est sûre pour l’instant, c’est que l’opération de débarquement se déroulera dans la journée du 6 novembre, dans l’après-midi pour Gibraltar et le 9 novembre dans la journée pour Malte.
Sidney a été joint au téléphone ce matin par son team en place à Paris. Il va bien. Une seconde équipe est en route pour les Açores en ce moment pour s’occuper de la récupération du bateau. Plus d’infos demain à ce sujet.
Ci-dessous la transcription de la vacation de Sidney au Media Center de la Route du Rhum hier soir à 22h. Une vacation menée par Samantha Davies.
Sam Davies : Peux-tu nous décrire ta situation en course et les conditions rencontrées au moment de l’avarie ?
– Sidney Gavignet : J’étais à un près débridé – très rapide – autour de 20 nœuds, parfois un peu moins ou un peu plus. La mer n’était pas très forte, mais c’est sûr qu’à cette vitesse il y avait quand même des chocs de temps en temps. En fait, j’étais sous J2 (trinquette) et 2 ris dans la grand voile.
Tout allait bien. Je n’étais pas fatigué, j’étais bien reposé, bien alimenté, bien hydraté, et j’avais bien dormi. Si je fais une échelle de 1 à 5 dans l’état de fatigue, je dirais que j’étais à 2. (Le scénario de l’avarie a été reprécisé par Sidney ce matin au cours de la vacation avec son équipe technique) : J’avais 18-22 nœuds de vent au 70° avec une vitesse de 18-22 nœuds. Dérive relevé de 20 cm au-dessus du pont avec le J2 et 2 ris dans la grand voile. La mer n’était pas forte, je dirais moyenne. J’ai plongé une première fois dans une vague. J’ai entendu un premier crac. Je suis sorti pour voir ce qu’il se passait et j’ai constaté une petite craquelure autour de la porte d’entrée de cockpit. J’ai pris une photo et je suis rentré pour l’envoyer à Seb. Pendant que je l’envoyais, j’ai entendu un autre crac, beaucoup plus fort. J’ai pensé que c’était la dérive. Je me suis jeté sur le chariot pour choquer la grand voile. J’ai immédiatement vu que la poutre avant tribord était cassée à 1-1,5 de sa fixation sur le flotteur. Le flotteur s’est désolidarisé et n’avait donc plus d’appui à l’avant. 4 secondes plus tard, le bateau s’est couché à la verticale sur tribord avec le mât dans l’eau. A ce moment là, j’avais le flotteur au-dessus de ma tête. J’ai tout de suite mis ma combinaison de survie et procéder aux premiers appels à Jean et Seb. Je dirais que cette première phase a duré 5 minutes.
Dans la phase 2, j’ai appelé Jean. A ce moment là, j’étais toujours à la verticale, le mât toujours en un morceau. Le mât qui était sorti de sa boule et dont la tête était dans l’eau s’est ensuite cassé à peu près à deux mètres du bas. Je pense que c’est parce que cela tapait pas mal.
Le bateau est ensuite revenu un peu à l’horizontal. Avec une gîte de 15-20°. Je suis alors resté dans cette position jusqu’à ce que les secours arrivent, c’est-à-dire un peu plus de 3 heures.
Juste avant que le cargo arrive, je pense que le bras tribord arrière qui était encore accroché a fini par casser aussi. Du coup le flotteur était complètement libre. A part que les haubans sont toujours accroché. Le bateau s’est donc remis à l’horizontal. Et à ce moment là le flotteur libre est venu sous les bras et tout de suite contre la coque. C’était 3mn avant que je quitte le bateau. Cela voulait dire que le flotteur et la coque centrale vont taper l’un contre l’autre. Le flotteur va rester là car il est accroché par les haubans. Je suis un peu inquiet car le flotteur et la coque vont s’entrechoquer.
SD : As-tu pensé que ta vie était en danger quand cela est arrivé ?
– SG : Au moment où cela s’est passé, j’ai eu une seconde d’inquiétude car j’ai pensé que le bateau pouvait couler tout de suite. Mais très vite, j’ai analysé que le bateau ne coulerait pas. J’étais un peu inquiet car je pensais que le mât allait casser le rouf. Mais même s’il cassait le rouf, à la rigueur, ce n’était pas très dangereux parce que j’étais sûr que le bateau flottait. En fait, la mer n’était pas méchante. C’était relativement calme quand cela a cassé. A chaque fois que j’ai fait des manœuvres, pour prendre un ris ou changer de foc, soit en me mettant vent arrière soit en choquant la grand voile, tout devenait assez calme. C’était violent à cause de la vitesse du bateau mais les conditions n’étaient pas dantesques. Il y avait entre 18-22 nœuds de vent. Non, je n’ai pas pensé que ma vie était en danger. Je n’étais pas vraiment inquiet. Je savais que je n’étais pas loin des Açores et donc que des secours allaient arriver relativement vite.
SD : J’imagine que dans cette situation, il n’y a pas grand-chose que tu puisses faire pour sécuriser ou essayer de sauver davantage le bateau ?
– SG : J’ai réfléchi un peu à ce qui serait la bonne idée. Est-ce que c’était une bonne idée de lâcher le mât ou de ne pas le lâcher. Je pense que ce mât n’est pas en sandwich, et que probablement il coulerait donc cela pouvait être une bonne idée de le lâcher sauf que le lâcher c’est un très très grand processus car il y a énormément de choses qui le retiennent au bateau et notamment ce qui était sur la coque cassée et s’était quasiment impossible de couper cela. Je n’aurais de toute façon pas pu le désolidariser totalement du bateau.
SD : tu as eu un temps d’attente avant de voir arriver le cargo. Comment cela s’est passé et comment as-tu pris contact avec lui ?
– SD : Quand l’avarie est arrivée, j’ai tout de suite appelé Jean Maurel en premier, j’ai eu sa boite vocale et je lui ai laissé un message, ensuite j’ai appelé Sebastien Chenier de notre équipe d’Oman Sail qui est notre coordinateur. Je lui ai dit de prendre un stylo avant de commencer pour qu’il ait le temps de noter. Je lui ai dit calmement ce qui venait de se passer. Ensuite Jean Maurel m’a rappelé tout de suite après. Je lui ai expliqué la situation. Il a appelé le cross Griz Nez qui m’a rappelé quelques minutes après. Heureusement j’avais l’Iridium du bateau qui fonctionnait et donc j’ai pu confirmer ma position. J’ai pu mettre ma balise en route et l’accrocher sur une barre à roue. J’ai su très vite que le processus de secours était en place. Ensuite j’ai eu un coup de fil des Portugais qui m’ont demandé si j’étais d’accord pour quitter le bateau. Je dois avouer que sur le coup je ne m’étais pas posé la question, je pensais qu’il fallait vraiment quitter le bateau. Mais quand ils m’ont posé la question, j’avoue que j’ai eu une seconde d’hésitation, je ne savais plus trop. Mais je pense que c’était la bonne chose à faire. J’ai laissé une balise Argos en émission sur Oman Air Majan pour qu’on puisse le suivre. On était à un peu moins de 300 milles au nord des Açores La mer n’est pas trop mauvaise. Malheureusement, le bateau dérive au nord-est et s’écarte des Açores. Cela augmente la distance pour aller le chercher.
SD : Qu’as-tu fait quand tu as pris la décision de quitter le bateau ?
– SG : Quand Ils m’ont demandé si j’étais prêt à quitter le bateau, j’ai dit oui, mais tout d’un coup c’est vrai que cela faisait bizarre d’abandonner le bateau comme cela. D’un autre côté, je pense que j’étais totalement inutile à bord. Après la gestion de l’avarie, on pense à la famille et à l’inquiétude qu’on cause aux autres. J’ai un sentiment un peu bizarre depuis que je suis à bord du cargo. En fait, ils sont venus me chercher avec petit bateau à moteur pour venir à ma rencontre alors que j’étais dans mon canot de survie. Le plus dangereux de toute la manœuvre c’était de remonter sur le cargo. Ils étaient 4 sur ce petit bateau avec un tout petit moteur hors bord. 4 à bord dont un bonhomme qui était terrorisé, qui était en boule par terre, avec ses lunettes cassées. C’étaient des Philippins avec un Grec au volant. Cela s’est bien passé mais c’est sûr que cela fait un peu bizarre de mettre la vie des autres en danger. Je ne suis pas très fier de cela.
SD : Et à bord ils s’occupent bien de toi ?
– SG : -rire- oui, s’ils s’occupent de moi. J’ai une petite cabine et ils m’ont donné une combinaison orange. Cela va et la vie continue pour eux.
SD : Quand et où penses-tu arriver ?
– SG : Je ne sais pas. Le cargo va vers la Turquie, il doit s’arrêter, soit à Gibraltar, soit à Malte, pour refaire du fioul. Pour l’instant ils ne savent pas. Je pense que cela doit dépendre de leur consommation ou du prix du fioul. Pour l’instant on avance à 13 nœuds vers Gibraltar. Je ne connais pas l’estimation du passage. Si on ne s’arrête pas là, on s’arrête à Malte. Pour l’instant j’essaie de rester discret avec les gradés du bateau pour me faire accepter en haut dans la cabine afin de me tenir au courant de ce qui se passe et pour avoir accès au téléphone. Pour l’instant je n’ai pas d’information. Le cargo a repris sa vie avec ses quarts de 4 heures à la plateforme. Donc je vais essayer de m’intégrer le plus possible à la cabine mais cela n’est pas certain.
– Info presse Agence B.EFFECT / www.omansail.com