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Calcul de structures

Les mâts en carbone de multis et minis en question

Denis Gléhen répond pour Hervé Devaux Structures

jeudi 17 octobre 2002Christophe Guigueno

La chute des mâts aile en carbone des multicoques de 18 mètres a défrayé la chronique à quelques semaines du départ de la Route du Rhum Route du Rhum #RouteDuRhum . Alors que certains d’entre eux sont tombés peu de temps après leur première sortie dans des conditions de vent et de mer calmes, les skippers, comme les architectes et les calculateurs se sont posés des questions.

L’ORMA (Offshore Racing Multihull Association qui gère le circuit des multicoques de 60 pieds) a aussitôt commandité une expertise générale auprès des constructeurs Constructeurs #Constructeurs et des cabinets responsables du calcul des structures des espars. Le cabinet de Brest Brest #brest , Hervé Devaux Structures, qui possède le quasi monopole de l’étude des mâts de multicoques ORMA a donc ouvert ses portes à un ingénieur chargé de vérifier ses méthodes. Denis Gléhen, responsable de cette partie des activités de HDS, a répondu aussi à quelques questions concernant le calcul de ces mâts et, par la même occasion, au toujours sensible débat sur l’arrivée des tubes carbone dans la Classe Mini. Interview.

CG : Denis, quel est l’état des lieux concernant les mâts de multicoques avant le départ de la Route du Rhum Route du Rhum #RouteDuRhum suite aux nombreux démâtages ?

- DG : Depuis 2000, on a calculé 18 mâts de trimarans de 60 pieds. L’entreprise existe depuis 1994 et on calcule des mâts de 60 pieds depuis cette date. On a inventé le concept de mât cheminée, c’est un tube carbone tenu par un ensemble galhaubans, bas-haubans, étai. Il n’y a donc plus de barre de flèche ! Le premier de ces mâts était celui de Primagaz de Laurent Bourgnon. A la suite, on a eu le monopole des mâts de 60 pieds car depuis cette date on en a conçu 99%. (ndr : celui de Sopra Groupe -Ph. Monnet- a été conçu par Franck de Rivoyre).

Depuis 1994, c’est donc sur ce même principe que sont conçus les ensembles mât - gréement. Mais ce qui a évolué, ce sont les géométries (forme, largeur, longueur), l’aérodynamique (profil), les matériaux (fibres de carbone principalement). On n’a pas trop changé les mises en oeuvre. Les plates-formes ont évolué en étant plus raides, plus rapides, plus puissantes… 

A la suite de cela, il y a eu de la casse : huit mâts ont cassé. Sur ces huit mâts, aujourd’hui, pour chacun d’entre eux, la cause est établie. Hors casse de pièces (cadènes, câbles), le dénominateur commun de ces casses, c’est l’utilisation de fibre carbone très performantes. La cause principale vient de la fibre de carbone et de leur mise en oeuvre pour ces mâts : la M55J ou pitch, du carbone très haut module.

La pièce de mât sert de transmission entre la voile (moteur) et la plate-forme (châssis). Cette transmission doit être nerveuse pour que le bateau soit performant. Il faut qu’il n’y ait pas de déperdition d’énergie. Alors, pour être très performant, il faut utiliser des matériaux très performants. On fait donc le choix d’utiliser les carbones haut module au détriment de leur tolérance (à la mise en oeuvre mais aussi aux chocs, à la propagation d’endommagement et à la fatigue).

Le problème aujourd’hui c’est qu’il n’y a pas de test d’endommagement sur ces fibres. Elles sont utilisées en spatial (pour les satellites) et sans doute pour les ailerons de F1. Mais on n’ a pas de recul par rapport à leur utilisation dans le temps (ndr : en nautisme comme ailleurs).

On nous demande d’être performant alors on donne au décideur (ndr : le skipper dans la majorité des cas) les moyens d’être performants : c’est à dire qu’on propose des solutions optimum en performance et sécurité.

Il y a du choix entre 30 fibres de carbone mais on va préférer une fibre performante, donc légère mais avec le risque qu’elle casse si il y a un défaut de fabrication ou lors de l’utilisation (choc, réglages ...).

Après, c’est un ensemble, skipper, chantier et calculateur qui choisit la fibre. Par exemple, Jean Le Cam (trimaran Bonduelle) a choisi la M46, comme Francis Joyon (trimaran Eure et Loir) ou même Thomas sur son premier mât. Les autres ont choisi la M55. Et sur les 18, il y en a encore dix qui naviguent.

Cela reste du prototype et la différence avec la Formule 1 est une question de moyens. On est peut être été trop loin…

La solution, c’est peut être de faire une jauge (pour restreindre l’utilisation des certains matériaux) mais je ne suis pas pour, ce n’est pas mon boulot. Nous, on est là pour aider les skipper à avoir des outils performants pour participer aux courses. Que ce soit pour une plate forme, une dérive ou un safran.

En multicoque (comme en mini ou monocoque d’ailleurs), les budgets arrivent assez tard. Il faut construire un bateau, un mât, aller naviguer et faire la course en un temps limité. En général, le bateau est construit, le mât est posé et une semaine après, le bateau participe à un grand prix. Après le grand-prix, le bateau rentre au port et est mis au sec. Il y a donc peu de validation en général.

CG : En dehors des mâts de multicoque, sur quoi travaillez vous ?

- DG : Nous travaillons aussi sur un catamaran de croisière de 92 pieds (sur plans de Van Peteghem - Lauriot Prévost), sur les pré-études d’un cata de croisière de 60 mètres. En fabrication chez JMV, il y a le Sugiton, un cata de croisière de 33 mètres. On fait aussi les structures des simulateurs d’hélicoptères ! On travaille sur un mât tournant basculant pour un monocoque de 50 pieds en Australie dessiné par Murray, Burns and Dovell. On a fait une structure de JFA 25 mètres et un catamaran de 20-25 mètres plus deux trois projets pour VPLP. Le prochain mât de Kingfisher a aussi été étudié chez nous. Et on travaille sur des mâts de monocoques de 60 et 78 pieds aux USA. Enfin, il y a les nouveaux catamarans Ollier (ndr : les nouveaux The Race) et la plate-forme du nouveau 60 pieds pour une écurie existante (ndr : le nouveau Groupama de Franck Cammas).

CG : En tant que propriétaire et co-architecte d’un mini 650 Mini 650 #mini650 , tu as forcément un point de vue sur l’éventuelle autorisation des mâts en carbone sur les minis prototypes ?

- DG : Moi je suis pour ! Il faut le faire ! Il est temps de le faire sur ces petit bateaux, mais j’ai le recul d’avoir fait un mini et d’avoir poussé à l’extrême le raisonnement du proto mini-transat Mini-Transat #MiniTransat . Toute l’innovation qu’on a fait sur ce mini demande du temps de fiabilisation avant d’avoir des retours en course. On a utilisé les mêmes techniques que celles utilisées sur les 60 pieds multis et monocoques alors que cela aurait dû être le contraire.

Pour les mâts, aujourd’hui, chez HDS, on conçoit pour Sill un mât tournant, pour le Murray Burns un mât basculant. Pourquoi sur la Mini, on fait toujours des mats aluminium alors que sur Monica liquide il y a une quille qui avance et recule et bascule en M40J (ndr : carbone haut module) !

Il y aura par contre des problèmes avec les gens qui n’auront pas les moyens de faire cela et qui vont casser ou avoir des ennuis alors que d’autres qui auront du budget nécessaire vont faire des choses propres et être performants !

Maintenant il reste à savoir ce que l’on veut faire de ces bateaux. Mais avant d’autoriser les mâts carbone, il faudrait assurer les retombées afin d’avoir des budgets qui permettront d’entretenir les bateaux, de les faire naviguer....

Si on prend le coté performance, il faut un mât carbone, c’est sûr. Si on veut de la technologie, il faut des mâts carbones. Mais il faut des moyens d’étude et de fabrication différents.

Par exemple, on peut construire une coque en verre polyester mousse dans un moule mais aussi la même coque dans le même moule en carbone epoxy - nid d’abeille avec un budget de 50 000 à 250 000 Francs (7 500 à 40 000 Euros) pour un gain de poids d’une centaine de kilos. Et cela c’est possible (ndr : dans le cadre de la jauge Mini). D’un mât alu à un mat carbone on passe de 7 000 F à 20 000 F(1100 /kg) (1000 à 3000 Euros). Une quille en acier coûte 3000 F et une quille en carbone M40J, 150 000 F (ndr :faites le calcul vous même...).

Il faut se reposer la question : à quoi servent ces bateaux là ? Ils servent à traverser l’atlantique pour le plaisir, et il y a la série pour cela, ou cela sert à trouver des sponsors de communiquer et avancer en technologie... et a-t-on les moyens de ses ambitions ?

Cette année, nous on va installer sur MonicaLiquide une centrale d’acquisition électronique avec girouette pour obtenir les polaires de vitesse Vitesse #speedsailing (ndr : l’électronique est interdite par la jauge en course). Mon boulot, c’est la technologie et je me donne les moyens d’apprendre beaucoup de choses. A terme cela peut servir pour un 60 pieds. Mais c’est interdit en course…


En bref :

- HDS travaille désormais en exclusivité avec le cabinet d’architecture navale Van Peteghem Lauriot Prévost et Mick Kermarec (aérodynamique et hydrodynamique) pour les calculs des trimarans de 60 pieds.

- Fibres de carbone haut module : M40 ; M46, M55J, Pitch (par ordre croissant de performance et décroissant de tolérance)

- Pour Géant, Michel Desjoyeaux avait choisi, comme pour PRB avant le Vendée Globe, le carbone le plus performant. Son premier mât a été construit par CDK à Port-La-Forêt. Le second par Espace Composite.

- Les mâts construits par Espace Composite le sont en deux parties avec un scarf à 11 mètres de la tête de mât.

- Conclusion : "si elle est bien utilisée on peut mettre en oeuvre la M55J avec toujours un doute sur sa longévité dans le temps. Dans un ou deux ans, on maîtrisera sans doute plus les aspects fatigue/endommagement de ce produit…" Denis Gléhen.



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