« Des départs comme ça, c’est magnifique : météo idéale, mer plate, un bord direct pour attaquer la Manche, super spectacle sur la ligne... ça me fait tout drôle de ne pas y participer ! » signé Jérémie Beyou. En préparation de son 60 pieds de Vendée Globe, le vainqueur 2005 a confié la barre de son Delta Dore au talentueux Erwan Israël. Invité sur une vedette à suivre le départ de cette première étape, donné à 11h07 ce dimanche à Cherbourg-Octeville, Jérémie était aux premières loges pour admirer la meute des 44 solitaires partir sans lui à l’assaut des 590 milles vers Santander, via les côtes anglaises. Et quel show... Dans un flux d’ouest-nord ouest d’une dizaine de nœuds, les premiers bords tant redoutés s’avéraient finalement on ne peut plus libérateurs. Dans la grande rade, le bizuth Corentin Douguet (E.Leclerc-Bouygues Telecom), Fred Duthil (Brossard) et Pietro D’Ali (Nanni Diesel), tous partis à la bouée et à gauche du plan d’eau se livraient déjà un mano à mano somptueux en tête de flotte, le bizuth Douguet et le jeune Duthil encadrant le navigateur italien, seul favori du trio de tête.

Et il arriva ce qui avait sur le papier le moins de probabilité statistique de se produire : les deux jeunes tuèrent le vent de leur aîné, l’obligeant à se dégager et à perdre du terrain... et le moins régatier des trois, à savoir Corentin Douguet, s’imposait à la première marque officielle, la bouée Radio France. C’était peu avant la première heure de course, juste devant un Laurent Pellecuer (Cliptol Sport) astucieux, immédiatement suivi de Fred Duthil, Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs) et Charles Caudrelier (Bostik).

Sur un bord vers l’Angleterre

Ces bizuths ne respectent décidément plus rien. Après la victoire de Jean-Pierre Dick dans le Prologue Afflelou, on se retrouvait encore avec un débutant dans l’épreuve aux commandes de la flotte. Avant le départ, le vainqueur de la Transat 6.50 rêvait sans y croire vraiment de mettre le bazar dans la hiérarchie... sur les premiers bords en tous cas, c’est réussi !

La flotte était alors encore relativement groupée, même si un favori comme Gildas Morvan, 34^e à la bouée Radio France, accusait plus de 5 minutes de retard. Ce qui n’est pas si anodin quand on se souvient que la course s’est déjà jouée pour 13 secondes. « Mais prudence. S’il est vrai que la météo semble toujours favorable à ceux de devant, Gildas Morvan peut très bien gagner l’étape et La Solitaire », tempérait Jérémie Beyou, « il y a près de 600 milles de course jusqu’à Santander tout de même... » On trouvait d’ailleurs du sérieux client déjà dans les 10 premiers, avec outre Charles Caudrelier et Oliver Krauss (Axa Plaisance Plaisance #Plaisance , 6^e), la présence remarquée de quatre grands favoris dans un mouchoir de poche : Kito de Pavant (Groupe Bel, 7^e), Armel Le Cléac’h (Brit Air, 8^e) Pietro D’Ali (9^e) et Yann Elies (Groupe Generali Assurances, 10^e).

La flotte accélérait en se dégageant des côtes et trouvait du ciel bleu, du soleil. Les vitesses passaient de 6,5 à environ 8 nœuds et surtout le vent de ouest-nord-ouest autorisait un bord direct pour les 40 milles de cette première traversée du Channel. Avec l’agréable perspective d’avaler en début de semaine un golfe de Gascogne sans doute au portant sous spi dans 15 nœuds de secteur nord, tout était alors bon pour le moral des troupes. Si l’on excepte l’incertitude toujours liée aux effets de sites et de courants sous les côtes anglaises.

« Comme un rêve de gosse »

Au pointage de 16h - au terme de cinq heures de course donc - la flotte était toujours groupée, en 2 milles de distance au but. Mais la fête continuait pour le Nantais Corentin Douguet, toujours en tête : « ça ressemble fort à un rêve de gosse. Première Solitaire, premier départ et sortir de la baie de Cherbourg en tête... tout marin en rêve. Pour l’instant, c’est parfait. Que du bonheur ! »

Douguet n’avait alors que 200 m d’avance sur Laurent Pellecuer et grosso modo un demi mille sur les 8 autres invités du Top Ten, à commencer par le local de l’étape Christophe Lebas (Armor Lux) qui avait déjà coupé la ligne le premier ce matin : « c’est super, mais le Cherbourgeois est émotif, alors prendre un aussi bon départ, c’est une motivation supplémentaire, mais aussi de la pression en plus... »

Alors que la bagarre avec les algues coincées dans safrans et quilles commençait, on notait les retours ou maintiens aux avant-postes de Gérald Véniard (Scutum, 4^e), puis, dans l’ordre de Nicolas Bérenger, Charles Caudrelier, Jeanne Grégoire (Banque Populaire), Eric Drouglazet (PIXmania.com), Fred Duthil et Pietro D’Ali, l’Italien clôturant le listing des dix premiers.

L’écart latéral entre le plus à l’est et le plus à l’ouest était alors de 2,5 milles. « La flotte est au bon plein dans 12 nœuds de vent, ça avance très bien », notait sur zone le directeur de course, Christian Gout.

Au rythme constaté de près de 8 nœuds de moyenne, l’arrivée sur la première bouée anglaise des Shambles est prévue aux environs de 19h, la bascule de courant favorable vers 21h et les premiers commenceront alors le périlleux tricotage vers le cap Lizard et le phare de Wolf Rock. « Je me concentre déjà sur l’arrivée sur les côtes anglaises », prévenait Gérald Véniard, tandis que Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec) annonçait devoir plonger sous le bateau pour libérer la quille d’algues scélérates.

Du spectacle, du vent, un insolent jeunot en tête, des grands favoris à l’affût, des anecdotes de mer, du suspense à venir dès ce soir sous Albion... La Solitaire, quoi !

BM

Les échos du large

 Corentin Douguet (E.Leclerc-Bouygues Telecom, leader) : (lire début de citation ci-dessus) : « (...) sur la Mini Transat, j’ai connu ça aussi être en tête, mais là on est très largement un niveau au-dessus et je ne pensais pas pouvoir réaliser ça aussi vite. Je vais faire en sorte que ça dure le plus longtemps possible ! La bataille avec les algues commence... Juste sous mon vent j’ai Laurent Pellecuer, et je vois aussi Scutum qui revient fort, Armor Lux , Bostik, Koné Ascenseurs, Axa Plaisance Plaisance #Plaisance ... il y a du monde ! »

 Christophe Lebas (Armor Lux, 3^e) : « un grand, grand plaisir ! C’est super que ça se soit passé comme ça, c’est vraiment du bonheur. On a des conditions idéales pour démarrer. Le vent doit venir progressivement à droite. Le front froid n’a pas l’air trop énervé. Je m’attends malgré tout à un passage à niveau à Portland et ce serait bien de rester dans le bon wagon (...). »

 Gérald Véniard (Scutum, 4^e) : « J’ai pris un mauvais départ mais je n’ai pas mis longtemps à revenir dans les 10/15 premiers. C’est beau temps, belle mer et un bon début de course, que demander de plus ? Il va juste falloir trouver le bon rythme. Je ne sais pas quand je vais pouvoir dormir mais je préfèrerais être arrivé sur les côtes anglaises avant de me reposer. J’ai une bonne vitesse Vitesse #speedsailing mais je pense que j’ai peut-être bénéficié d’une veine de vent qui m’a permis de bien glisser sous le vent du paquet de bateaux qui est avec moi. »

 Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec, 19^e) : « L’eau est à 18-19 degrés. Deux fois, j’ai réussi à faire descendre quelques algues mais elles se recoincent dans la quille. Ce sont des algues assez longues et fines. La technique que j’ai employée : j’ai choqué en grand la grand-voile et le génois et j’ai plongé à l’avant avec un bout autour des aisselles et un bout attaché à l’arrière. Si le bateau va trop vite, je m’accroche à la quille. C’est assez sécu... »

 Jérôme Aubert (La Normandise, 42^e) : « Les conditions sont excellentes et on devrait arriver assez vite en Angleterre. Je suis en forme et je ne prévois pas de dormir tout de suite, en tout cas pas la première nuit. Je ne suis pas bien parti, j’ai pas mal galéré et j’ai fais beaucoup de virements. Mon objectif pour cette première Solitaire est d’en mettre le plus derrière. Je n’ai pas d’objectif de place, on verra les prochaines années. Je veux surtout essayer de me faire plaisir. »